La nouvelle économie entre dans l’ère du transfert : attention à la précarisation.

La transformation de notre économie challenge les formes traditionnelles de nos relations et contrats de travail. L’article rédigé par Anthony Hussenot, Maître de conférences en théories des organisations et management, Université Paris Dauphine – PSL, nous explique comment le recours aux travailleurs indépendants, en nette croissance, impacte la gestion quotidienne dont le management des processus RH bien entendu.

« Avec une augmentation des travailleurs indépendants de 45% entre 2004 et 2015 en Europe et une économie qui peine à créer des emplois salariés, la gig economy apparaît pour certains comme l’avenir du travail. Reposant sur des contrats de courte durée entre une entreprise et des travailleurs indépendants, la gig economy concernait jusqu’à présent principalement des emplois peu qualifiés, comme les livreurs chez Deliveroo ou les chauffeurs travaillant pour Uber.

Cependant, la gig economy est en passe de s’attaquer aux emplois les plus qualifiés. Dans un avenir proche, les grandes entreprises pourraient se passer de la plupart de leurs salariés en confiant toutes les tâches, mêmes les plus stratégiques, à des travailleurs indépendants. C’est ce que l’on peut appeler l’ère du transfert.

Les transferts comme réponse des entreprises à l’économie de plateformes

Dans sa version la plus aboutie, l’ère du transfert pourrait se caractériser par l’externalisation vers des travailleurs indépendants de la quasi-totalité des activités des entreprises. Mais, à la différence de la gig economy qui signifie généralement le recrutement de travailleurs indépendants pour réaliser des tâches exigeant peu de qualifications, l’ère du transfert pourrait concerner la réalisation des tâches les plus créatrices de valeurs pour l’entreprise comme le marketing, le design des produits, la gestion des clients, la gestion de projets, etc.

Les transferts peuvent être considérés comme une réponse des entreprises classiques à l’économie de plateformes. Des plateformes comme Airbnb et Uber ont montré leur capacité disruptive dans divers secteurs, laissant dans un premier temps les entreprises traditionnelles pantoises devant un succès si fulgurant. L’économie du transfert apparaît donc comme une solution pour obtenir les mêmes avantages que le modèle de l’économie de plateformes. L’économie du transfert pourrait notamment permettre de gagner en flexibilité et en scalabilité et de ce fait, éviter de se faire bousculer par l’arrivée de nouveaux arrivants sur le marché.

Cette flexibilité peut sembler particulièrement bienvenue dans les secteurs dont l’activité est basée sur la production d’objets ou services uniques et dont les volumes de ventes sont difficilement prévisibles. A une époque où l’innovation et la personnalisation sont légions, c’est la plupart des secteurs qui sont potentiellement concernés par l’économie du transfert. Le secteur du conseil donne déjà à voir ces évolutions. En faisant appel massivement à des consultants indépendants, certains cabinets de conseil expérimentent déjà ce modèle. Cela permet à ces cabinets de répondre à des appels d’offre d’envergure sans avoir besoin de recruter massivement. De cette façon, il leur est possible de rivaliser avec les ténors du marché à moindre frais.

Il est également possible d’observer ce modèle dans le secteur de la communication où des agences louent les services d’un ou plusieurs travailleurs indépendants le temps d’une mission. Cela est particulièrement le cas dans les services de relations de presse lorsqu’un client a besoin des services d’une agence le temps du lancement d’un produit par exemple. Etant donné que pour ces secteurs, les activités consistent à produire des services personnalisés, faire appel à des travailleurs indépendants s’avère un mode de gestion particulièrement adapté.

Vers un âge d’or des plateformes de mises en relation des travailleurs indépendants

Cependant, ce mode d’organisation est déjà en train de passer à la vitesse supérieure avec l’apparition de plateformes dédiées à la mise en relation des travailleurs indépendants avec des entreprises. Les tiers-lieux comme les espaces de coworking ou makerspaces ont sans doute été parmi les premiers à jouer ce rôle de plateformes et d’intermédiaires, notamment lorsqu’ils recensent sur leurs sites Internet les expertises disponibles parmi leurs résidents, ou lorsqu’ils font appel à certains d’entre eux pour répondre à des commandes de clients externes.

Cependant, avec l’arrivée de plateformes telles qu’Hopwork, cette activité de mises en relation prend une nouvelle dimension. En proposant aux travailleurs indépendants de se faire référencer, elles permettent aux entreprises de trouver les personnes dont elles ont besoin pour réaliser en principe toutes les tâches. Ces plateformes permettent aux travailleurs indépendants de trouver certains avantages qu’offrent les tiers-lieux, tel que le réseau, sauf qu’ici ils ne sont pas contraints de fréquenter le lieu et de limiter leur zone d’activité. Ce qui peut être un avantage considérable pour ceux qui souhaitent exercer n’importe où.

Mais cette tendance va encore plus loin avec des plateformes de crowdsourcing comme Crowdguru. Ici, il n’est même plus question de confier à des indépendants des missions, mais uniquement des micro-tâches. Le principe est le suivant. Une entreprise cliente confie à la plateforme de crowdsourcing le soin de réaliser une mission (enquête, production de contenu pour un site ou un blog, etc.). La plateforme de crowdsourcing divise ensuite la mission en micro-tâches, et confie la réalisation de ces micro-tâches à des travailleurs indépendants. La réalisation de toutes les micro-tâches par une foule de travailleurs indépendants devant conduire à réaliser la mission confiée par l’entreprise cliente à la plateforme.

Vers une précarisation des travailleurs indépendants et des salariés ?

Bien évidemment, on peut saluer la création de ces nouveaux services, car ces plateformes devraient améliorer la visibilité des travailleurs indépendants et leur permettre d’augmenter leur activité. En revanche, les risques potentiels sont importants. Le premier d’entre eux est sans doute le risque d’une destruction accélérée du travail salarié, comme le montre le sociologue Patrick Cingolani.

Quels pourraient être encore les avantages pour une entreprise de recruter des salariés ? Ces plateformes offrent la possibilité de s’entourer de travailleurs indépendants qualifiés et motivés – car leur rémunération en dépend directement – et dont le contrat qui lie l’entreprise et le travailleur indépendant est d’une flexibilité supérieure à n’importe quel contrat de travail. Devant ces avantages, les salariés risquent d’être fragilisés, car ils seront mis en compétition directement avec des travailleurs indépendants.

Mais le risque est également du côté des travailleurs indépendants, même les plus qualifiés. Leur augmentation et leur mise en réseau sur les plateformes risquent d’entraîner une concurrence acharnée entre eux. Les travailleurs indépendants pourraient ainsi être conduits à diminuer le prix des prestations tout en assurant un travail de qualité, car l’objectif sera d’obtenir une bonne évaluation sur la plateforme, sésame pour assurer la pérennité de son activité. Cette concurrence sera d’autant plus intensive qu’elle pourra s’exercer à l’échelle mondiale.

Les travailleurs indépendants ne seront plus uniquement en concurrence avec les autres indépendants de leur région ou de leur pays, mais ils pourraient être en concurrence avec des indépendants exerçant dans des pays dont le coût est bien moindre, notamment pour des missions qui n’exigent pas une présence physique auprès du client. Cela doit être pris sérieusement en considération car dans le cas contraire, nous risquerions de voir apparaître de grandes entreprises avec très peu de salariés, des salariés et des travailleurs indépendants précarisés et ce, sans nul besoin des progrès de la robotisation.

Source : theconversation.com

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