Selon Itinera, le revenu universel serait ‘une régression sociale et une utopie dangereuse’.

L’Institut Itinera vient de publier une étude dont l’objectif est de confronter l’hypothèse du revenu universel à un examen critique et, concrètement, de ‘déconstruire une fausse bonne idée’ (sic). Sa conclusion semble sans appel : « le revenu universel est néanmoins sans fondement, non finançable et non souhaitable ». Les conclusions, reprises en bref dans la presse généraliste, sont peu nuancées. Elles méritent sans doute une lecture plus approfondie à découvrir dans la prochaine édition de Peoplesphere (version imprimée).

L’institut Itinera relève d’entrée : « Un étrange consensus tacite semble donc se former autour du revenu universel (RU). Nombreux sont ceux qui y voient une panacée à la fois sociale et économique. Le RU paraît attrayant et ne comporter que des avantages. Il est d’ailleurs défendu par des courants très divers. Mais dans cette analyse, nous porterons un regard objectif sur cette idée aussi sympathique qu’utopique. Est-ce une nouvelle idée utile qui transcende le vieux concept de l’État-providence ? N’est-il combattu que par ceux qui ne peuvent se résoudre à abandonner des schémas dépassés ? Où se situe l’équilibre entre idéalisme et sens des réalités ? »

L’argumentation développée par les chercheurs d’Itinera, Marc De Vos et Simon Ghiotto, repose sur l’impossibilité d’atteindre un consensus sur le sujet dès que l’idée est confrontée à la réalité. « Le consensus apparent disparaît toutefois dès que l’idée philosophique prend pied dans la réalité. Les partisans semblent soudain alors avoir à l’esprit un revenu universel tout à fait différent, avec pour résultat les clivages (politiques) habituels. Des clivages qui rendent un compromis politique autour du RU encore plus irréaliste que le RU lui-même. Quelle sorte de société voulons-nous ? »

Difficile d’adhérer à l’ensemble des arguments déployés par ces derniers que nous vous livrons cependant ci-après.

1. Le défaitisme

Le revenu universel est d’abord et avant tout un aveu de faiblesse. C’est lever les épaules et admettre que nous ne pourrons jamais nous attaquer aux racines des défaillances de notre société. Avouer que certains sont condamnés à rester à la marge, et se contenter de leur distribuer de l’argent.

Au lieu d’un État d’investissement qui permet aux membres de la société de réellement y participer, un État d’allocation qui les maintient sur la touche. Une société où la notion de citoyenneté active se réduit au consumérisme. Une société où l’implication mutuelle, les uns vis-à-vis des autres, vis-à-vis du système démocratique et vis-à-vis de la société, doit laisser place à un droit à la paresse. Une société où le contrat social entre l’État et les citoyens est rompu au profit d’une société distributrice d’allocations. Une société où la politique d’égalité des chances consiste à donner à chacun le même montant, en espérant que cela suffise. Une subvention salariale générale déguisée en guise de cadeau politique institutionnalisé pour les entreprises. Est-ce vraiment l’État-providence que nous souhaitons ? Est-ce bien cette société que nous voulons ?

2. Des affirmations infondées

Les expériences sur lesquelles se basent les partisans ne traitent souvent pas du revenu universel, mais de neveux et nièces conceptuels, ou portent sur un échantillon trop réduit. Les effets qu’aurait un RU sur la société ne sont pas comparables à celui d’un RU accordé à quelques individus dans notre société actuelle.

Les expériences à grande échelle menées aux États-Unis et au Canada, et dont les résultats sont utilisés avec enthousiasme, concernaient respectivement un impôt négatif sur le revenu (NIT) et un revenu garanti (Mincome, Dauphin Manitoba). Autrement dit, un crédit d’impôt, et quelque chose de comparable à notre salaire minimum. Les expériences d’assistance en cours aux Pays-Bas ou en Finlande s’avèrent également problématiques.

3. Non finançable

Le revenu universel n’est pas une manne qui tombe du ciel. La liberté promise par les partisans sera payée par la non-liberté de ceux qui souhaitent encore participer économiquement, si tant est que la promesse en soi ne fonde pas comme neige au soleil lorsque le revenu universel sera confronté à la réalité.

Pour 4 Belges sur 5, un RU de 1000 € serait un revenu de remplacement – pensionnés, malades, handicapés, chômeurs … – synonyme de perte. Pourtant, il en coûterait plusieurs milliards. Un RU minimum, qui assurerait la survie d’un couple dans différentes situations familiales ainsi qu’il ressort de calculs basés sur des budgets de référence, coûterait aussi cher que l’ensemble de la sécurité sociale, soins de santé compris. Compte tenu des propositions habituelles de RU, on en arrive à un surcoût budgétaire de 17,6 milliards d’euros, soit 4,18% du PIB. Et pourtant, les célibataires et les parents isolés vivraient toujours dans une pauvreté extrême. Un RU de 1500 € tel que soutenu par le Parti Pirate et d’autres, culminerait à 79,6 milliards d’euros, soit 18,85% du PIB. Et cela dans un pays qui relève déjà du top mondial (sic) en taxation, avec un taux d’imposition de 51%. Par comparaison, le surcoût d’un RU représente respectivement presque le double, et plus de huit fois les coûts du vieillissement.

Les économies administratives sont une (auto) tromperie, la réalité économique et politique entraînera l’idéal vers la bureaucratie et la complexité. Mais même une image idéale plane à trop grande altitude dès lors qu’un concept philosophique doit être traduit dans la législation et la politique.

Aucun des propositions habituelles destinés à combler ce fossé ne fournit une réponse réaliste à ces déficits. Les économies promises concernant les soins de santé proviennent souvent des chiffres de l’expérience Mincome qui, comme dit précédemment, n’était pas un revenu universel.

Ce coût énorme s’oppose à des avantages très douteux et des risques bien réels. Les effets pervers sont visibles dans ce qui passe lors des expériences, et par rapport aux autres systèmes de paiement.

4. Fin de l’inclusion active

Le revenu universel et l’uniformité qui l’accompagne mettent un terme à l’inclusion active et au soutien personnalisé. L’idée que des organisations telles que le VDAB, le Forem, Actiris, l’ONEM et les CPAS ne font que pointer du doigt, contrôler et retirer des avantages est tout simplement une insulte aux hommes et aux femmes qui, jour après jour, essayent de renforcer des groupes défavorisés et de les impliquer dans notre société. C’est ce dont nous avons besoin, de plus en plus, de mieux en mieux. Le RU est vu par certains partisans du libre marché comme le laissez-faire ultime, la fin de l’État interventionniste et paternaliste. Cela implique toutefois un haut degré de responsabilisation sans émancipation préalable suffisant.

5. Hamburger jobs

La liberté de fixation des salaires, qui signe la fin du chômage involontaire, introduit également les ‘hamburger jobs’ ou mini-emplois tant décriés. Chacun a la liberté d’offrir ses services pour un salaire qu’il ou elle estime acceptable. Cela signifie que le RU peut mener à une augmentation substantielle de salaire pour certaines professions, tandis que pour d’autres, les employeurs voient leurs coûts salariaux subventionnés indirectement par le RU.

De plus, la question se pose de savoir si les jobs les plus ennuyeux ou les plus lourds sont suffisamment productifs, et donc créent suffisamment de valeur pour compenser ces coûts. Dans le cas contraire, ces emplois disparaîtront tout simplement, avec pour conséquence un volume d’emploi encore moindre.

6. Inégalité (de revenus) organisée

Cela fait des années que nous faisons tout pour augmenter le taux d’emploi, alors que le RU réduirait ce dernier. Le coût supplémentaire d’un RU devrait en conséquence être supporté par un moins grand nombre d’épaules. Faciliter l’inactivité et le travail à temps partiel affectera principalement les groupes qui, aujourd’hui déjà, sont détachées du marché du travail : personnes peu qualifiées, Belges issus de l’immigration, femmes (mariées).

L’inégalité des revenus par rapport aux travailleurs à temps plein (dans une mesure prévisible : plus qualifiés et de sexe masculin) augmentera. Nous remontons le temps de plusieurs décennies. L’écart salarial, lequel est déjà imputable en Belgique dans une très large mesure aux différences entre les sexes en matière de durée de travail, s’aggraverait.

Cet effet inégalitaire entre hommes et femmes sur l’inactivité et le travail à temps partiel affectera grandement le secteur de la santé. Ce dernier est lourd, mal payé et spécifiquement féminin. Si l’offre de travail de ce secteur est en baisse, cela aura un impact sur les salaires et / ou l’offre, et par conséquent sur les prix. Le revenu universel permet dans un premier temps de rester à la maison, pour ensuite probablement rendre prohibitif le coût des soins extra-muros pour les enfants, les malades et les personnes âgées. Un fonctionnement asexué du marché libre, mais il n’est nul besoin de préciser quel partenaire, plus encore qu’aujourd’hui, sera responsable de ces soins.

Même si le RU peut apporter de l’aide à la pauvreté monétaire dans le monde, ou à tout le moins en Belgique, il reste cependant de nombreux aspects de l’inégalité des chances qu’un RU ignore royalement. L’exclusion sociale est une hydre polycéphale, et bien plus qu’un simple manque d’argent.

7. Un revenu universel européen ?

Un revenu universel a un effet d’aspiration et l’autosélection parmi les migrants, en particulier au sein de l’UE. De fait, chaque résident d’un État membre de l’UE devient automatiquement un résident légal de la Belgique dès qu’il se déménage, avec un droit au RU. Si nous n’allouons le RU qu’aux seuls Belges, nous renforçons et formalisons la société duelle polarisée et stratifiée d’aujourd’hui. Il s’en suivra l’apparition d’une classe d’ayants droit au RU, et d’une sous-classe qui, par sa contribution via les impôts directs et indirects, paiera le prix plein pour les services qui auparavant faisaient partie de l’État-providence, et qui, sans le bénéfice de ce même RU, sera en concurrence sur un marché du travail avec les ayants droit au RU.

Le contre-argument classique consiste à dire que ceci est vrai, et nous devons donc mettre en place un RU au niveau européen, dont il conviendrait en effet (une fois de plus) de définir le montant. Les différences de niveaux de prix entre, par exemple, la Norvège, la Belgique et la Bulgarie seraient ramenées à un montant uniforme pour les différents pays. Un RU ajusté au niveau des prix est également impossible, comme en témoignent les grandes difficultés à déterminer un seuil de pauvreté commun.

Même en faisant abstraction de l’enjeu politique nécessaire à l’établissement d’un RU avec un consensus européen, sa mise en œuvre dépend d’une sophistication de gestion loin d’être généralisée en Europe. Si le RU doit être européen ou ne pas être, il ne sera pas.

8. Le revenu universel est une régression sociale

Un RU rompt le contrat social sur lequel est construite la société. Les effets économiques et sociaux du RU relèvent en grande partie de la science-fiction. Un véritable RU est budgétairement impayable et socialement inacceptable. Un RU constituerait une rupture du contrat social sur lequel est fondée la société. Que reste-t-il ensuite ? Des vœux pieux. Un scénario digne du Meilleur des Mondes. Un authentique chamboulement social pour des avantages réduits pour certains, et des pertes prévisibles pour beaucoup.

Bien que présenté comme la panacée politique et sociale, le RU est juste une manière partiellement asociale de faire de la politique sociale. Par définition, l’État-assurance exclut certaines personnes, l’État-providence classique n’est pas finançable, et tout le monde n’est pas ‘activable’ d’un simple claquement de doigts, dans un État-providence actif. Un État-providence moderne exige de renforcer l’émancipation, l’inclusion et la responsabilité. Sur la base de recherches fondées et depuis plus de 10 ans, Itinera travaille sur des propositions de politique pour y parvenir.

Ce que nous vivons actuellement n’est pas parfait, et ne le sera probablement jamais. C’est dans la nature même de la démocratie, qui se développe à travers de nouvelles perspectives. Nous ne pouvons certes pas faire preuve d’aveuglement face aux maux sociaux, mais il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. Le temps est venu pour un véritable État d’investissement social.

Pour lire le rapport complet : http://www.itinerainstitute.org/wp-content/uploads/2017/06/Rapport-revenu-universel.pdf

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