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Monique De Knop (S.P.F. Intérieur)
« Les top managers sont les oubliés de la gestion des talents »

Le Service Public Fédéral Intérieur emploie quelque 5.200 personnes et prend en charge des activités aussi essentielles que la sécurité, l’enregistrement et l’identification des individus, l’organisation des élections ou encore la mise en œuvre de la politique des étrangers. A la tête de son comité de direction, Monique De Knop accorde beaucoup d’importance à la gestion du potentiel humain de son organisation – ne lui parlez pas « ressources humaines », l’expression lui paraît inadéquate – et à son développement.


Depuis 2002, Monique De Knop a à cœur de stimuler une culture d’entreprise active et créative, où les changements et l’innovation sont supportés par tous les membres du personnel. « Sans oublier de veiller à rendre les gens heureux, insiste-t-elle. Pour moi, la dimension de bonheur au travail est essentielle. » Et, ça marche! En huit ans, les réalisations sont impressionnantes. Grâce aux Business Process Reengineering, le SPF Intérieur s’est largement modernisé. De gros investissements ont été consentis au niveau de l’IT. De nouveaux « produits » ont été lancés avec succès, comme par exemple la carte d’identité électronique. Un travail de fond a été entamé afin de développer une véritable « orientation client » dans les services. Des enquêtes de satisfaction sont menées régulièrement et des plans d’actions en découlent, avec des résultats concrets. Le travail par objectifs a été mis en place, avec évaluation sur base d’indicateurs de performance. Etc.
L’ensemble de ces chantiers comporte bien évidemment un volet « humain » central. D’où l’importance que, « même si le S.P.F. a un responsable RH, son président se mobilise aussi à ce niveau », observe Monique De Knop. Raison pour laquelle elle a décidé de s’investir dans le réseau HR Excellence in Public Sector. « Les différentes administrations du pays ont des ‘core business’ très divers, mais elles se rejoignent autour de certaines grandes valeurs, en termes de service à la population et dans la recherche de qualité. A ces niveaux, le partage d’expérience et de bonnes pratiques peut se révéler très riche. »

Mesures d’impact
Les différentes administrations se distinguent aussi par les résultats qu’elles doivent atteindre et la manière de les atteindre. « Pour celles qui ‘produisent’ quelque chose, il est plus facile d’identifier des indicateurs de performance. Chez nous, on ‘fabrique’ de la sécurité, voire des sentiments de sécurité. C’est beaucoup plus subjectif! L’impact des politiques n’est pas aisé à évaluer, d’autant que les paramètres à prendre en compte sont complexes et très variés. Nous menons des actions de prévention, de dissuasion et de répression. Etablir des liens entre ces politiques et ce qui se passe sur le terrain n’est pas évident, plus encore si l’on cherche à savoir quelles actions interviennent pour quelles proportions du résultat. »
Si mesurer se révèle difficile, ce n’est pas une raison pour ne pas s’y essayer, s’empresse de préciser Monique De Knop. « Et, si possible, en ne cherchant pas à réinventer l’eau tiède. Si quelqu’un, ailleurs dans l’administration, a expérimenté des indices de mesure valables, autant tirer parti de son expérience! Ce qui est intéressant, c’est le benchmarking entre les départements, non pas dans l’optique de réaliser un ‘hit parade’, mais bien pour développer sur cette base des mesures d’impact adaptées à votre propre situation. »
Au sein du S.P.F. Intérieur, on essaie de mesurer l’ancrage sociétal du département, à savoir par exemple le taux de pénétration de certains services auprès de la population. « L’évaluation trouve à s’appliquer pour un site web qui donne des conseils en matière de sécurité, pour un outil d’évaluation du niveau de sécurité de votre habitation ou encore pour un roman-photo rédigé pour véhiculer auprès de populations parfois fragilisées un message simple et clair sur les risquas associés au CO, ce ‘tueur silencieux’ qui fait plus de mille victimes par an en Belgique. Evaluer l’impact de toutes ces initiatives contribue aussi à accroître l’orientation client au sein de nos services. »

Vision RH
Le chantier ouvert au sein du réseau HR Excellence sur le thème du « réservoir de talents » intéresse aussi Monique De Knop. « D’autant plus que cette réflexion existe en interne depuis déjà pas mal de temps. Nous essayons de convaincre les directeurs généraux d’encourager les talents, d’en recruter davantage et de les développer. Il faut bien se dire que, lorsqu’on recrute des talents, on recrute aussi des caractères. Une gestion du personnel tournée vers la notion de talent est assurément moins confortable. On se doit d’être cohérent, de les coacher, de leur donner des responsabilités, de leur permettre de développer leur potentiel. Il faut développer une vision RH qui ne se limite pas à regarder par le petit bout de la lorgnette. »
Et, c’est humain, quand on attire ou quand on développe des talents, la tendance naturelle est de vouloir les garder. « Un juste équilibre doit être trouvé entre rétention et mobilité, note-t-elle. Une personne qui reste vingt ans dans le même secteur finit par craquer car elle n’est plus capable de s’adapter aux changements ou de faire preuve de créativité. Au cours de leur carrière, les collaborateurs doivent être encouragés à acquérir de nouvelles compétences et à relever de nouveaux défis. En connaissant la mobilité, ils développent des visions plus larges et leur adaptabilité. Ils entretiennent leur créativité et peuvent trouver plus de satisfaction au travail en évoluant dans le secteur qui leur convient le mieux. »

Retour sur investissement
C’est dans cet esprit, par exemple, que le S.P.F. Intérieur a instauré un dispositif qui permet aux jeunes engagés d’accomplir des mini-stages dans d’autres directions, afin d’avoir une vue plus large des missions du S.P.F. et d’apprendre à exercer de nouvelles tâches. « Il a fallu convaincre de son bien-fondé en interne car, au départ, le collaborateur n’est évidemment pas très productif et d’autres doivent de surcroît effectuer les tâches qu’il ne prend pas en charge dans son service. Mais on mesure progressivement la valeur ajoutée de ce qui n’est autre qu’un investissement. L’an passé, il a même été décidé que le dispositif ne serait plus réservé aux agents de niveau A, en adaptant une formule comparable aux niveaux B et C. »
Par ailleurs, en 2009, une dizaine d’accompagnateurs internes de carrière ont été sélectionnés. Ils ont suivi une formation de six mois élaborée en collaboration avec l’Institut de formation de l’administration fédérale (IFA). Depuis cette année, les collaborateurs du S.P.F. peuvent faire appel à ce service. « Pour ce qui est de la mobilité entre administrations, il faudra sans doute y associer des garde-fous. Un service ne peut pas tout le temps servir de réservoir de talents dans lequel les autres vont venir puiser. Il faut que chacun soit gagnant. Mais l’idée d’une certaine concurrence interne est intéressante car elle oblige à se profiler auprès du personnel en temps qu’employeur et à donner le meilleur. Si elle est bien pensée, elle sera de nature à accroître le niveau d’excellence. »
Dès lors qu’on aborde la question de la mobilité à un plus haut niveau, le ton de Monique De Knop se fait plus dur. « On a voulu des top managers de qualité. On les sollicite beaucoup. Ils sont évalués. Depuis la réforme Copernic s’est ainsi constitué un pool de top managers qui ont réalisé énormément de choses et qui ont acquis une expérience incomparable. Mais il n’existe encore aucune réflexion quant à leur carrière, ni même à leur développement. Ce sont les grands oubliés de la gestion des talents! »
Un constat vraiment regrettable, insiste-t-elle.
« Un bon top manager, après six à huit ans de mandat, commence à avoir vu tout ce qu’il y avait à voir. Il lui devient difficile d’encore être créatif, de se renouveler. Dans toute grande entreprise qui se respecte, on organise une gestion des carrières des cadres dirigeants. L’alternative, c’est d’attendre le terme de son mandat et d’aller vendre son talent ailleurs! Cette réflexion devrait s’intégrer dans celle portant sur la constitution d’un réservoir de talents. Pourquoi ne pas imaginer créer pour l’administration un pool de compétences managériales de haut niveau avec rotation quasi obligatoire et périodes de coaching? »

Réel partenariat
Sur les contrats d’administration, Monique De Knop se montre plus sceptique. « C’est vrai: c’est le point sur lequel j’ai le plus d’interrogations, voire de doutes. Je travaille depuis huit ans comme top manager. J’ai commencé par élaborer un plan de management, à partir duquel d’autres plans ont été rédigés, niveau par niveau, en allant vers le plus concret, vers le plus opérationnel. A l’usage, ce dispositif fonctionne plutôt bien, et ce fut vrai avec tous les ministres avec lesquels j’ai travaillé. Il dépend bien sûr de la relation que le top manager peut nouer avec l’autorité politique. Peut-être ai-je eu de la chance? Peut-être, surtout, suis-je parvenue à imposer une réelle relation de partenariat? »
L’avantage de la formule, c’est sa flexibilité, estime-t-elle, même si celle-ci est sans doute moins confortable pour le manager. « Les objectifs sont approuvés, mais l’on peut en discuter ouvertement. Si on a des arguments convaincants pour justifier qu’un objectif n’est pas réalisable, il existe une marge de manœuvre possible. Les contrats d’administration viennent quant à eux des parastataux, un cadre dans lequel la notion de contrat se concilie mieux car leurs matières sont relativement circonscrites. »
Leur transposition dans un département comme le S.P.F. Intérieur lui paraît plus qu’aléatoire. « L’autorité politique n’est pas à même, dans le cadre du système politique belge tel qu’il existe, de garantir un budget et de fonctionner pleinement dans un système d’autonomie de gestion, conclut-elle. La réalité, c’est qu’on vit des situations de gymkhana permanent pour l’obtention de moyens. Un contrat d’administration peut donner un sentiment de sécurité, mais il n’empêchera pas, à mon sens, que l’on rogne vos moyens. Je tiens à ce lien personnel et ce dialogue plus qu’hebdomadaire avec mon ministre et je me refuse à tout système qui demanderait un engagement inconditionnel de ma part avec une contrepartie qui va, chaque fois qu’elle le peut, diminuer l’enveloppe devant permettre de le réaliser. »

 

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